Inversion des rôles – Je m’assois et servez-moi!

Aujourd’hui, je n’incarnerai pas le rôle de l’hôtesse de l’air. Je me transformerai plutôt en votre «invitée». Je passerai vous rendre visite dans votre humble demeure. Nous dégusterons un délicieux café, mangerons un peu et je repartirai aussitôt. Nous en avons tant à rattraper. Plusieurs années ont déjà passé. Vous serez mon hôte. N’est-ce pas merveilleux?

Vous m’avez invité à me joindre à vous vers les onze heures. Je suis tout énervée. Je me prépare chez moi en pensant à cette belle rencontre que nous aurons cet après-midi. Pendant ce temps, vous terminez les derniers préparatifs. Vous avez nettoyé la cuisine. Vous avez épousseté les bibelots et les tablettes du salon. Vous avez passé l’aspirateur dans tous les coins de la maison. Vous avez acheté de l’eau pétillante, du vin et une bouteille de champagne pour m’impressionner. Vous êtes enfin prêt à m’accueillir.

Il est presque onze heures maintenant et je ne suis toujours pas là. Je ne tarderai pas à arriver. Vous mettez alors une douce musique d’ambiance pour alléger l’atmosphère. Vous êtes angoissé à me rencontrer. Cela fait si longtemps.

Il est onze heures et je ne suis pas là. J’arriverai certainement bientôt. Vous changez la musique pour un rythme plus entraînant. Le temps passe. Toujours aucun signe de vie. Où suis-je? Vous êtes inquiet. Serais-je perdue dans le quartier?

Je finis par me pointer à la porte. Je ne m’étais pas égarée, je prenais seulement mon temps. Pourquoi me presser pour vous? Je vous connais à peine?

Vous m’accueillez avec un grand sourire malgré votre légère déception. Vous êtes souriant et accueillant. Vous semblez être heureux de me voir. Vous m’invitez à l’intérieur. J’entre sans vous saluer.

Nous prenons place au salon. Nous nous asseyons sur les deux fauteuils noirs que vous venez de vous offrir. Vous en êtes si fier. Vous me demandez ce que j’en pense?

«Je n’ai jamais vu des sièges aussi inconfortables et affreux de toute ma vie! Mon ami, ma soeur et mon voisin possèdent des bien meilleurs sièges que vous! », réponds dis-je.

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À cette affirmation, vous êtes soudainement choqué, voire triste. Vous croyiez que vous aviez acheté de douillets fauteuils pour vos invités. Pourtant, ces sofas en cuir valent une fortune et ont été dessinés par des experts. Vous passez outre ma critique.

Nous discutons tout de même un brin au salon. Durant notre conversation, je n’arrête pas de vous interrompre.

«Pardonnez-moi, quand allons-nous manger? Quand allons-nous passer à table? J’ai faim!»

Pour tout vous avouer, je m’ennuie. Vous êtes ennuyeux! Manger passerait le temps, voilà tout! Pour me distraire, je me mastique une gomme à mâcher.

Vous sentez mon impatience, mais vous ne pouvez pas vous hâter davantage car la dinde est toujours au four et les patates aussi. Le repas ne sera prêt que dans seulement quinze minutes. C’est le mieux que vous puissiez faire.

Quinze minutes? J’ai certainement le temps de prendre mes aises alors. Je retire donc mes bas blancs afin de faire respirer mes pieds et je les étends sur le pouf en cuir devant mon fauteuil. Mes ongles d’orteils ne sont pas coupés, mais je n’en ai aucune honte. Vous êtes scandalisé.

«Comment ose-t-elle? », pensez-vous.

L’alarme du four sonne. C’est enfin cuit. Vous m’invitez à passer à table. Vous allez chercher la nourriture. Pendant que vous avez le dos tourné, je colle ma gomme à mâcher sous la chaise. Je suis beaucoup trop paresseuse pour me lever et la déposer dans la poubelle de la cuisine. Je ne songe même pas à l’enrouler dans la vieille facture d’épicerie qui traîne dans le fond de mon sac à main. Et puis, qu’est ce que cela peut bien changer? Elle est bien dissimulée, vous n’y verrez que du feu.

Vous revenez de la cuisine avec le repas. Vous déposez sur la table une dinde farcie au fromage de chèvre accompagnée de patates au four et de pleurotes grillés. Je vous regarde avec mépris.

«Je n’aime pas le fromage de chèvre! Vous n’auriez pas autre chose?»

Vous bégayez maladroitement que vous n’avez rien d’autre à m’offrir. Je rétorque que je ne mangerai pas. Je préfère rester le vendre vide que de manger cette dinde infecte. Vous êtes peiné de ne pas pouvoir répondre à mes désirs. Vous n’aviez vraiment pas imaginé cette situation déplaisante. Cela dit, vous ne montrez aucune émotion. Je suis tout de même encore votre invitée.

Comme les choix manquent, j’accepte de me soumettre aux petites patates et aux pleurotes. Je picosse dans mon assiette. J’ai faim mais par orgueil et frustration, je refuse de manger. Je veux vous montrer que vous n’êtes pas à la hauteur de ma personne. Au mieux, le dessert me rassasiera.

À la fin du repas, vous vous approchez à mes côtés pour me desservir. Soudain, j’ai une soudaine envie d’uriner. Je ne peux pas patienter. Je me lève et vous pousse. Vous êtes sur mon chemin! Dégagez! À cet instant, vous manquez de tomber et de renverser les assiettes au sol.

Je marche rapidement vers le fond de la pièce. Où sont toilettes? J’entre dans la cuisine. Elles n’y sont pas. Je cherche dans le placard. Elles n’y sont pas. Je m’arrête un instant et je réfléchis. Ah! Les voilà!

Une fois à l’intérieur de la salle de bain, je prends la position adéquate pour uriner. Par hygiène, je ne dépose pas mon fessier sur le siège de toilette. Je m’empresse d’évacuer le nécessaire. Un vrai plaisir et quel soulagement! Une fois terminée, je réalise que j’ai laissé ma trace tout autour du siège. Je n’ai aucune intention de nettoyer cette urine qui est MIENNE sur cette toilette qui est VÔTRE. Ce n’est pas ma toilette! C’est VOTRE toilette!

Je nettoie mes mains et les essuient rapidement. Maintenant, il est temps de jeter ce papier mouillé dans la poubelle. Cependant, je ne la vois pas. Pour être honnête, je ne regarde pas vraiment autour de moi. Je jette alors mon papier à main humide sur votre plancher. Vous le ramasserez. C’est VOTRE salle de bain après tout!

Je reviens à table comme si de rien n’était. Deux heures ont maintenant passé et j’en ai assez d’être ici. Je veux m’en aller. Sans même vous offrir de l’aide pour ramasser, je me lève et me dirige vers la porte. Pourquoi vous donnerais-je le moindre coup de main? C’est vous qui m’avez invité! C’est VOTRE maison, pas la mienne!

Sans même vous dire MERCI, je franchis la porte sous votre regard ébahi.

Vous n’arrivez pas à comprendre ce qui vient de se passer. Vous m’avez invité dans votre maison et avez pris soin de moi. Vous m’avez préparé à manger et avez fait de votre mieux. Cette maison vous la chérissez. Comment puis-je agir de la sorte? 

Et si cette maison était un avion, votre avion? Mes agissements seraient-ils alors plus acceptables?

 

Écrit par Elizabeth Landry

Elizabeth Landry est agente de bord et une vraie passionnée des voyages et des sports nautiques. Elle partage son temps entre Cabarete en République Dominicaine, le Québec et les airs. Elle dirige le blogue L’Hôtesse de l’air depuis 2010 et a écrit trois romans à succès du même nom. Sa boutique #FLYWITHME vous fera voyager à travers le monde !

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