Lorsque la turbulence me fait sentir comme une méchante sorcière
«Mesdames et Messieurs, nous traversons une zone de turbulence. Nous vous demandons de retourner à votre siège et d’attacher votre ceinture. Veuillez ne pas utiliser les toilettes pendant ce temps. Merci !»
« Désolé Monsieur, je devrai revenir après la turbulence », mentionné-je à un passager en train de faire du shopping dans la boutique hors-taxe.
Ma collègue et moi sécurisons le chariot à l’avant.
« Je vais faire les checks ! » lui dis-je pour qu’elle parte s’asseoir au plus vite à son strapontin.
Comme je me prépare à parcourir l’allée d’un bout à l’autre de l’avion afin de rejoindre mon siège, une secousse se fait sentir. Je bascule vers la droite d’un trait, sans même pouvoir me retenir. Heureusement, un siège de passager bloque ma lancée. « Ouf ! Ça brasse » pensé-je.
En marchant, j’agrippe la barre de retenue qui se trouve sous les compartiments à bagages. Je vérifie les ceintures des passagers au passage «Seatbelts, ceintures, Seatbelts, Ceintures! »
Lorsque je m’attache enfin, mon interphone retentit. La voix de la directrice de vol se fait entendre : « Le commandant vient de m’aviser qu’on va avoir de la turbulence modérée d’ici cinq minutes pendant 20 minutes. Assurez-vous que tout est bien sécurisé »
A-t-elle bien dit « Turbulence modérée » dans cinq minutes ? Je pensais qu’on était déjà dedans… Il semblerait que non, car comme prévu, au bout d’un moment les secousses s’accentuent. De mon siège, j’ai une vue panoramique sur l’appareil. Les têtes des passagers valsent vers la gauche et ensuite vers la droite au même moment. J’aimerais me lever pour ramasser ma bouteille d’eau rangée dans un compartiment mais je n’ose pas le faire. En résumé, ça bouge assez pour que moi, l’hôtesse de l’air qui en a déjà vu d’autres, pense qu’il ne faut pas se lever. Je n’ai pas peur, je reste seulement consciente qu’une secousse plus intense et imprévisible pourrait me plaquer contre le mur, le plafond ou le sol. Dans mon top 3 turbulences, cette séquence en fait officiellement partie.
Mon scénario idéal dans ce genre de situation est le suivant : l’appareil se fait remuer d’un bord et de l’autre pendant les vingt minutes prévues. Par évidence de la situation, les passagers restent sagement assis à leurs sièges. La turbulence cesse. Tout le monde peut maintenant se lever et moi je conserve mon rôle de gentille hôtesse de l’air dédiée à la sécurité.
Un beau scénario irréaliste où j’ai dû me transformer encore une fois en une méchante police de l’air. Voyons voir.
Dix minutes viennent de passer depuis que je suis assise à mon strapontin. Peut-être plus. Je le répète ça brasse. Comme je ne peux moi non plus me lever, je regarde le film, muet pour moi, à ma grande déception. Je connais l’histoire jusqu’à la fin mais je ne l’ai jamais visionné avec du son.
Une dame se lève. Elle est assise à la rangée 4, en avant. Elle n’a pas vu le signal des ceintures attachées qui est allumé. Ni senti les secousses qui frappent fort? Étrange… Elle marche d’un pas décidé vers l’arrière. Ma collègue assise au milieu de l’avion l’intercepte et lui mentionne de retourner à son siège.
Une minute passe. Une autre dame se lève. Soit 1 – elle n’a pas vu l’autre dame se lever ou 2 – elle pense faire exception à la règle.
« Désolée, nous sommes encore en turbulence, vous devez demeurer assise », ordonné-je.
Elle fait la moue et rebrousse chemin. Un sentiment de méchante sorcière m’envahit. Je l’ignore.
Les secousses continuent. Cinq minutes passent et là j’aperçois maintenant plusieurs têtes dans l’allée qui me regarde. Depuis les dernières rangées, une femme me regarde en panique et remue les lèvres pour me parler. Je réussis à lire son message. « J’ai envie de pipi ! », me lance-t-elle.
« Vous ne pouvez pas vous retenir un petit instant ? », aimerai-je lui demander. Je me contente de bouger la tête négativement. Elle se retourne. Et puis, comme si cette dame venait de jeter un mauvais sort à l’avion en entier, j’ai l’impression de ne plus avoir affaire à des passagers matures et vaccinés. J’effectue plutôt un voyage dans le temps. Nous voilà à la petite école. À tour de rôle, des femmes me regardent. En espérant m’attendrir, elle prennent un air de chien battu et prononcent un « J’ai envie de pipi ! »
« Moi aussi ! », pensé-je. J’aimerais les laisser y aller mais la turbulence m’inquiète. De plus, mon strapontin se situe dans le passage menant aux toilettes. Si je les laisse passer, je devrai me détacher et mettre ma propre sécurité en danger. Pas question !
Une dame insiste et se lève. « J’ai vraiment envie de pipi. Je vais le faire dans mes culottes ! » m’annonce-t-elle. Wô ! On m’épargne les détails s’il vous plait ! Je cède. J’en ai assez de jouer à la police. Je la laisse se faufiler entre mon strapontin et la toilette sans me détacher. Elle se contorsionne autant qu’elle peut et réussit à y entrer en effleurant ses formes sur mon épaule.
Soudain, je réalise la grosse erreur que vient de commettre. D’autres dames se lèvent. Je ne sais plus où légiférer. Ce n’est pas le temps de jouer à l’infirmière de guerre et de faire le tri des cas de pipi suffisamment pressants pour leur permettre le passage. Et là, une file de passagers s’accumulera devant moi pour qu’une secousse brutale les forcent à me piétiner ? D’un air autoritaire, je retourne tout le monde à leur siège.
« Ben là ! Pourquoi elle et pourquoi pas moi ? », entendis-je. Et bien, parce qu’avec cette turbulence, vous allez en mettre partout sur le plancher…
Cette anecdote ce termine ainsi. J’aimerais poursuivre, vous raconter comment tout cela s’est terminé mais je dois partir. Déjà? Oui, désolée… J’ai envie de pipi !
P.S. Vous remarquerez que ce ne sont que des femmes qui se sont levées pour utiliser les toilettes. Aurions-nous des vessies plus petites que les hommes ?
Écrit par Elizabeth LandryElizabeth Landry est agente de bord et une vraie passionnée des voyages et des sports nautiques. Elle partage son temps entre Cabarete en République Dominicaine, le Québec et les airs. Elle dirige le blogue L’Hôtesse de l’air depuis 2010 et a écrit trois romans à succès du même nom. Sa boutique #FLYWITHME vous fera voyager à travers le monde !
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