Des diamants dans les homards d’Halifax
Je suis assise à mon strapontin (jumpseat) depuis une bonne heure, car depuis notre départ d’Halifax en Nouvelle-Écosse, les conditions météo m’empêchent de me lever et d’aller me déhancher dans l’allée. Le commandant annonce qu’une tempête fait rage près des côtes américaines. De mon point de vue, je dirais que c’est une bonne dose de nuages enragés qui nous font bouger d’un côté et de l’autre mais ça ne m’empêche pourtant pas de sentir mes paupières s’alourdir.
Je me suis levée à 3 h am et après des allers-retours entre Cuba, la République Dominicaine et les nombreux pubs d’Halifax où le folklore bat son plein, le sommeil me gagne. Je regarde les passagers assis devant moi. La dame et son mari me fixent depuis un moment. Je leur souris. «Vous êtes fatiguée?», qu’ils me demandent.
Je ne peux cacher mon manque d’énergie apparent. «C’est qu’assise ainsi pendant trop longtemps sans rien faire, c’est endormant.» La dame approuve car à ma défense, elle dormait avant même que l’on soit en vol. Je décroche le combiné pour appeler mon collègue de l’autre côté de l’allée.
«C’est quoi ton pays préféré?», lui demandai-je pour faire la conversation.
Il hésite. Il en a tellement visité qu’il ne sait plus lequel il préfère. En fait, il les aime tous. La Croatie, la Serbie, le Japon. Il arrive justement de la Colombie et de l’Équateur.
«Tu as passé combien de temps en Équateur?», le questionnai-je entre deux secousses.
«4 jours», répond-il bonnement.
«Tu te fous de moi? C’est loin l’Équateur pour quatre jours!»
Pince de homard à Peggy's Cove |
Mon collègue est hyperactif. Il ne dort jamais. Quoique là, il a attrapé une petite grippe. C’est sans doute son saut de folie entre Quito et Montañita (super endroit d’ailleurs) qui l’a tué.
Soudain, je ressens un haut-le-coeur a être tournée de côté. Je raccroche pour regarder tout droit afin de reprendre mes esprits. Il ne faudrait surtout pas que je déverse le peu que j’ai englouti ce matin sur le charmant couple assis devant moi.
Pour passer le temps, je fredonne dans ma tête Take Me Home, Country Roads, une chanson de la veille qui m’aura fait danser (vidéo en fin d’article). Le signal des ceintures s’éteint enfin et je me lève afin de commencer les services à bord.
Ce sera bref. Une heure plus tard la descente commence et je suis de retour assise devant le mari et la dame
«Vous vous êtes réveillée finalement?», me lance la femme en me voyant m’asseoir plus pimpante qu’auparavant.
J’approuve et maintenant un peu plus en forme, je me décide à lui faire la conversation.
Peggy's Cove - Nouvelle-Écosse
«Vous vivez à Halifax?»
«Tout près, me dit-elle. Nous vivons à Peggys Cove»
Mes yeux s’agrandissent. C’est là il me semble qu’un avion de SwissAir a sombré dans l’océan en 1998.
«Mon mari est pêcheur. Pendant une semaine, lui et ses collègues ont ramassé les débris. C’était atroce», précise-t-elle sans trop élaborer sur le sujet.
Je n’ose pas lui demander de décrire davantage, gênée par ma curiosité. Je parle plutôt de la cause de l’écrasement. «Un feu à bord», précisai-je en tentant de me rappeler les détails. Le sujet touche tant de passagers que plusieurs aux alentours apportent leur contribution. «C’est mon frère et son ami qui ont été les premiers sur le lieu de l’accident», ajoute un.
Monument commémoratif du vol Swissair 111 - Nouvelle-Écosse - Canada
À les écouter, je note une fébrilité encore existante face à ce terrible évènement. Captivée par la conversation, le train d’atterrissage sort et je ne le remarque même pas. Soudain, la dame assise devant mon strapontin s’avance vers moi comme pour me souffler un secret.
«Vous savez, on dit qu’à bord du Swissair, il y avait des millions de diamants. Tous les pêcheurs de la côte rêvent du jour où ils tomberont sur la prise du siècle. Qui sait si l’un des homards n’aura pas ingurgité par mégarde un diamant perdu…»
Je souris en m’imaginant la surprise du pêcheur ou plutôt du client au restaurant qui croque dans la pince rouge du crustacé et manque d’avaler la pierre précieuse. Et puis, j’entends le boom de l’appareil contre la piste. Mes passagers applaudissent et pour la première fois dans ma carrière d’agent de bord, moi aussi! J’applaudis de bon coeur sans m’en rendre compte, comme si j’étais l’une des leurs, heureuse moi-aussi d’aller passer du temps à Punta Cana. C’est l’effet que font les Néo-Écossais sur moi, j’ai l’impression de faire partie de la gang!
Fait: Aucun des 229 passagers du vol qui effectuait la liaison New York-Genève n’a survécu. Parmi eux, on comptait un prince saoudien, le proche d’un ancien shah d’Iran et des hauts fonctionnaires onusiens. Des diamants et des pierres précieuses d’une valeur de 500 millions de dollars n’ont, par ailleurs, jamais été retrouvés. (source: Radio-Canada)
Écrit par Elizabeth LandryElizabeth Landry est agente de bord et une vraie passionnée des voyages et des sports nautiques. Elle partage son temps entre Cabarete en République Dominicaine, le Québec et les airs. Elle dirige le blogue L’Hôtesse de l’air depuis 2010 et a écrit trois romans à succès du même nom. Sa boutique #FLYWITHME vous fera voyager à travers le monde !
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