Souvenirs d’escale: La leçon de vie de Madame Crown Royal
En route vers Manchester. À 36 000 pieds au-dessus de l’Atlantique. On s’affaire au Duty Free. Vous savez le moment où l’on passe dans l’allée avec notre magazine de produits à vendre et qu’en annonçant DUTY FREE à voix haute à travers l’avion, nous vous réveillons et vous bondissez d’un trait sur votre siège?
Du gros plaisir! Pour vous et pour nous. Je parle pour moi en tout cas. Car de la liste des choses dont je ne suis vraiment pas frivole c’est bien faire le DUTY FREE.
Bon, disons-le, temps-ci je le ferais bien avec plaisir, mais revenons à nos moutons.
Duty Free!
Accrochage de coudes en remontant l’allée et boom, une cliente!
« What can I get you? », demandai-je à la vieille dame qui vient de m’arrêter.
« May I have two Crown Royal please », me demande-t-elle avec politesse dans son accent anglais.
Whisky Crown Royal |
Je regarde sur le dessus du chariot si le Crown Royal s’y trouve, mais il n’y est pas. Je me penche pour vérifier dans les tiroirs situés de mon côté. Niet.
« As-tu du Crown Royal toi? », demandai-je à ma collègue de l’autre côté du trolley.
Julie se penche à son tour pour vérifier. Premier tiroir. Deuxième tiroir. Dernier tiroir. Tout au fond. Elle pousse les sacs en plastique pour vérifier en dessous. Ils tombent par terre. Elle les remet à sa place avec sûrement quelques poussières. « Dix minutes » plus tard, la broue dans le toupet, elle se relève. Négatif. Pas de Crown Royal dans notre chariot.
C’est là que le fun commence. Je descends l’allée pour aller rejoindre l’autre équipe de Duty Free sur le deuxième chariot. Pas de Crown Royal ici non plus. Le hic c’est qu’il y a un troisième chariot rangé à l’arrière rempli de produits en extra. Exactement ce que je redoutais. Pas le choix, je dois aller vérifier.
J’arrive à l’arrière. Nicolas, l’agent de bord responsable de la galley arrière est en train de ranger ce qu’il reste du dernier service de repas. Des cannettes à semi-remplies sont éparpillées partout sur les comptoirs. Un gros sac d’ordures attend d’être rangé dans un chariot. Je n’ai évidemment pas choisi le bon moment pour faire ma recherche.
« Scuse, je dois vérifier si on a du Crown Royal » lui annonçai-je en retirant de son emplacement l’autre trolley DUTY FREE.
Nicolas soupire. À peine notable, mais je l’ai entendu. Nicolas est l’un de ceux qui pensent que la galley est SA galley parce qu’il en est responsable pour cette portion de vol. Et quiconque qui s’incruste le dérange. Je ne m’en contrarie pas pour le moment et je m’attaque plutôt à trouver ce Crown Royal au plus vite.
Tout agent de bord qui se respecte sait que je saute ici une étape additionnelle dans la description de cette aventure du DUTY FREE.
Les cadenas!
Mais pour faire rapide, on va sauter cette explication et s’imaginer que le chariot était débarré et que j’ai déniché les deux Crown Royal de la vieille dame en un temps record… (mais si vous être agent de bord vous savez bien que cette option arrive rarement!)
« There you go », lançai-je en remettant les deux bouteilles d’alcool à la passagère assise à 7 C. (oui je me souviens de son siège…)
La dame âgée récupère le sac et visiblement heureuse de son achat me tend plusieurs billets de 20$.
« Oh désolé, dis-je, nous n’acceptons que la carte de crédit ».
« Really? »
La vieille dame semble désorientée, légèrement confuse. De son accent anglais que j’arrive à peine à comprendre, elle m’explique qu’elle ne possède pas de carte de crédit.
«C’est que nous n’acceptons pas l’argent comptant, madame », précisai-je.
Pour ceux qui ont déjà vu Les pages de notre amour (The NOTEBOOK), Madame Crown Royal ressemble à la vieille dame du film. Donc, imaginez mon cœur qui se rompt quand elle m’explique avec déception voire une tristesse apparente comment elle voulait rapporter ce whisky canadien en Angleterre, un souvenir de son séjour au Canada.
Sans compter, la misère que je me suis donnée pour lui trouver ses deux bouteilles.
C’est là que je décide d’accomplir l’interdit.
Je lui offre de payer son achat avec ma carte de crédit en échange de son argent comptant.
Accusez-moi. MEA CULPA. Mais en voyant le sourire accroché au visage de cette dame, j’ai su que j’avais fait la bonne chose et qu’à l’occasion, déroger de la ligne droite ne fait pas de mal à personne.
PLUS TARD PENDANT LE VOL
Le soleil s’est levé. Nous allons bientôt atterrir à Manchester. Je me rends à l’avant pour une raison quelconque. Avant de traverser le rideau, une main m’attrape le bras.
Pub à Manchester après notre vol
C’est Madame Crown Royal qui m’arrête en me forçant à me baisser. Elle s’approche pour me parler. Elle est tellement belle avec ses sûrement quatre-vingt-dix ans. Cheveux blancs comme neige, un visage qui transmet la sagesse.
« Let me tell you something important my dear », dit-elle. (Laissez-moi vous dire quelque chose d’important ma chère)
Pour me remercier, elle veut me livrer un message.
J’ai l’impression qu’elle s’apprête à me livrer le secret d’une vie. De sa vie. D’une vie qui en a long à dire et surtout qui a bien vécu à voir son air serein. Un secret précieux que je veux entendre.
Je tends l’oreille.
« I was refiringtuts in the ottnging and so you are littery and ».
J’ai toujours eu de la difficulté avec l’accent British mais en particulier celui de Manchester. Je lui demande de répéter.
«I was refiringtuts in the ottnging and so you are littery and»
Je frustre intérieurement. Je veux tellement comprendre son puissant message que je lui demande de répéter encore.
Elle répète: «I was refiringtuts in the ottnging and so you are littery and»
Une quatrième fois? Je n’ai pas osé et je ne saurai jamais ce qu’elle voulait me livrer de si important. Son secret restera à jamais gardé à 36 000 pieds dans les airs, quelque part dans cette allée entre le siège 7C et 7D.
Si vous aviez une leçon de vie à livrer laquelle serait-elle?
Pour les fins de l’article, certains faits et noms ont été modifiés. Cet article n’est pas commandité par Crown Royal mais je ne dirais pas non… haha!