Une histoire de douanes

Je dédie ce billet à Monsieur le douanier à la longue moustache blanche qui a pris sa retraite il y a un moment. Nous nous ennuyons de votre beau sourire.

La saison d’été est commencée et j’en suis déjà fatiguée! Je dois avouer que mes derniers vols n’ont pas été de tout repos. Voler en Europe, c’est voir du pays, mais c’est aussi vivre avec le décalage horaire, et ça, c’est mortel! Les gens croient que nous passons des jours à flâner dans les rues de Paris ou de Rome, mais la réalité est tout autre.

Bien sûr, nous restons à l’occasion 48 heures ou 72 heures dans une même ville, mais souvent ce sont les agents de bord avec le plus d’ancienneté qui en profitent. Pour les autres, nous faisons le tour du monde en cinq jours. Avec ces nuits de sommeil perdues et cette fatigue qui s’accumulent aux fils du temps, nous devons bien trouver des avantages à être hôtesse de l’air sinon pourquoi continuer? Honnêtement, j’en trouve assez facilement.

En fait, je dirais même que lorsque les vols d’Europe apparaissent enfin sur mon horaire, je suis heureuse de voir s’inscrire les lettres BCN ou CDG. Lors de ces premiers courriers, j’oublie vite le facteur fatigue, car je veux aller à Rome.

Cela m’est égal de décoller à 23 h et de voler toute la nuit pendant huit heures pour n’y passer qu’une vingtaine d’heures. Au moins, j’aurai acheté du parmesan frais. Le premier mois de l’été, je suis prête à tout faire pour me procurer de l’huile d’olive en Espagne ou pour faire un arrêt au Monoprix à Paris afin de faire le plein de mes crèmes préférées.

Finalement, après avoir acheté mon parmesan et mes produits de beauté, une dernière chose s’inscrit sur ma liste déclassant ainsi le facteur fatigue: LE VIN !

Mon plaisir à moi est de remplir enfin mon cellier de bouteilles de vin de qualité que j’aurai achetées à un prix ridiculement moins élevé que celui affiché au Québec.

Le seul problème c’est que la majorité des courriers que nous effectuons sont conçus pour maximiser les effectifs. Nous ne restons guère plus longtemps que 48 heures hors du pays, et ce, même en parcourant la planète entière! Vous vous dites peut-être :             « D’accord, mais qu’est-ce qui ne tourne pas rond dans toute cette histoire? ».

Le jugement des douaniers avec le fameux 48h! Voilà ce qui ne tourne pas rond. Au Canada, pour pouvoir rapporter des boissons alcoolisées, il faut être sorti du pays pendant au moins 48 heures. Après ces deux jours, vous aurez ainsi le droit d’importer deux bouteilles de vin de 750 ml chacune sans avoir à payer les taxes. Si vous étiez parti quatre jours ou une semaine, c’est encore deux bouteilles de vin par personne pas plus. Ensuite, il faudra payer. Vous pouvez rapporter six bouteilles si vous le désirez, mais seulement deux d’entre elles ne seront pas taxées. Pour les quatre autres, sortez votre portefeuille!

Ainsi, avec mes courriers qui ne me font sortir du pays que pour environ 44 heures, je ne suis pas admissible à mes deux bouteilles de vin exceptées de taxes. J’ai toujours le droit de rapporter du vin, mais ATTENTION, au QUÉBEC je serai imposée à presque 125 % du prix payé. Et pas de passe-droit! Pourquoi les douaniers laisseraient-ils passer gentiment une hôtesse de l’air exténuée et ses deux bouteilles de vin à 3 euros? Elle doit payer son dû à son gouvernement, et ce même si dans quatre courtes heures elle aura atteint enfin le nombre fatidique de 48 h! Jamais au grand jamais!

Quelques choix s’offrent donc à moi : 1 — Je n’achète pas de vin du tout et je rêve d’obtenir LE courrier qui me fera partir plus de 48 h hors du pays. 2— J’achète des bouteilles de vin quand même, mais à bon marché pour ne pas payer trop cher les taxes (de toute façon, une bouteille à 4 euros en France est excellente donc pourquoi payer plus cher?). 3 — si j’ai un courrier qui passe par Toronto, je ne m’inquiète pas trop avec les taxes, car c’est bien connu, les douaniers ontariens sont plus gentils ou plus compréhensibles que nos douaniers du Québec.

Je m’explique. Au Canada, comme l’alcool est géré par chaque province, il revient à chacune d’elle de décider du pourcentage d’imposition sur l’alcool. Par exemple, au Québec pour une bouteille de vin de 750 ml que j’aurai payée environ 4 euros ou 6 $ canadien, je devrai payer 7.55$ de plus.  Ma bouteille à 4 euros en vaudra maintenant 13.55$ une fois les taxes payées. Ça commence à faire cher pour un vin de table français! Par contre, en Ontario, il semble que les taxes seraient moindres. Après avoir discuté rapidement avec une douanière canadienne, elle m’a expliqué que ma bouteille à 6 $ m’aurait coûté 3.90$ de plus si je l’avais déclarée à Toronto. Mon vin de table vaudrait maintenant 9.90$. Là, c’est bon marché! En tout cas, c’est officiel, la SAQ, la Société d’Alcool du Québec (notre magasin général où l’on peut se procurer de l’alcool) est riche à craquer!

Peu importe que l’on rapporte nos bouteilles de vin en Ontario ou au Québec, il serait vraiment apprécié que les douaniers aient un peu de considération. Vous ne verrez jamais un policier vous arrêter sur l’autoroute parce que vous rouliez à 105 km/h dans une zone de 100 km/h. Ils tolèrent, eux.  La loi c’est la loi et il faut toujours s’y soumettre surtout lorsque l’on est agent de bord. Sans broncher, je reste conforme aux règles et je déclare tout, tout, tout, jusqu’au vieux sachet de gruau qui traîne dans le fond de ma valise. Je ne voudrais surtout pas figurer sur une liste noire et devoir passer à la fouille à chaque retour au pays pour cause de fausse déclaration.

À ce sujet, j’ai un conseil à vous donner. N’écrivez jamais directement sur votre carte d’immigration ce que vous rapportez au Canada, car cela pourrait rapidement se retourner contre vous. Imaginez que vous oubliez un article? Vous aurez fait une fausse déclaration… Je vous suggère donc d’inscrire seulement un OUI à la question :

J’apporte au Canada : viande ou produits à base de viande; produits laitiers, fruits; légumes; semences; noix; plantes et animaux; parties d’animaux; fleurs coupées; terre; bois ou produits du bois; oiseaux; insectes. 

Répondez OUI. Juste OUI. Pas d’énumérations à côté. Le douanier n’aura qu’à vous demander de ce que vous apportez! Un jour, j’ai oublié un aliment de ma liste qui ressemblait à: olives, soupes instantanées, fromages pasteurisés, pâtes, confit de canard, foie gras, ah aussi, un vieux sachet de gruau dans le fond de ma valise. Et bien, j’ai passé à deux doigts d’avoir une amende, car j’avais oublié de mentionner le yogourt de mon restant de lunch!

Considération et jugement seraient simplement appréciés. Et vous, en auriez-vous?

Mise en situation

Nous sommes un vendredi soir. J’opère un vol vers Lyon à 20 h. Je dois être dans l’avion 1 h 20 avant le décollage, soit à 18 h 40. Je traverse donc dans l’aire internationale aux alentours de 18 h 15. En théorie, si je reviens à 18 h 15 dimanche soir, j’aurai légalement mon 48 heures, non ? Je suis pourtant maintenant dans une zone internationale, donc théoriquement « hors Canada »?

Nous décollons vers Lyon. À cet instant précis, ma bulle imaginaire d’espace personnel vient de disparaître. Pendant une bonne partie de la nuit, je marche de l’avant vers l’arrière de l’appareil. Des sept heures de vol, je parviens à m’asseoir environ une heure. À l’atterrissage, je ne vais pas dormir à l’hôtel, et ce, bien qu’il soit maintenant trois heures du matin. Tout l’équipage et moi allons attendre dans l’aéroport un autre avion afin de nous positionner vers Barcelone. Certains enlèvent leurs uniformes et revêtent des vêtements plus confortables. D’autres le gardent, car ils sont trop fatigués pour se changer.

Dans l’avion d’Air France, je dors la bouche ouverte. Je n’ai plus de fierté. Une fois à Barcelone, nous sortons sur le trottoir et attendons notre transport. Quelque dix minutes passent. Où est le transport? Pas de transport! Le directeur de vol part appeler un responsable au bureau des affectations des équipages afin qu’il appelle la compagnie de transport. Il revient quelques minutes plus tard en nous disant qu’il est garé au Terminal 1. Nous sommes au Terminal 2. Nous voilà tous maintenant en train de parcourir l’aéroport l’air défraîchit. Nous arrivons enfin au Terminal 2 et embarquons dans l’autobus. Il est maintenant midi heure locale ou 6 h du matin.

Nous arrivons enfin à l’hôtel vers 12 h 45. Je reçois ma clef à 13 h.  Je prends une douche et je me couche pour trois heures. À  16 h, je me lève de peine et de misère. Je rejoins l’équipage vers 18 h 30 pour souper. J’ai un peu de temps devant moi pour aller à l’épicerie et me dénicher un lunch pour le vol de retour. Une fois au grand magasin espagnol le Corte Inglés, je me plante dans l’allée des vins. Je regarde la sélection offerte : des Marques de Cáceres à 4 euros, des Gran Coronas à 5 euros, des tempranillos qui me sont inconnus. Je ne peux m’en empêcher, j’achète deux bouteilles à 3.50 euros chacune.

Par la suite, je marche un peu dans la ville pour me réveiller et je cours rejoindre l’équipage pour souper. Nous irons manger des tapas tout près de l’hôtel et je serai au lit vers 22 h. Le lever se fera à 9 h du matin le lendemain (3 h du matin au Québec). Conclusion, je n’aurai pas dormi vendredi soir. J’aurai dormi un peu samedi matin. J’aurai mangé par nécessité et j’aurai dormi à moitié durant la nuit de samedi à dimanche. Excellent!

Nous décollons à midi. Temps de vol : 8 h. Durant le vol, les Espagnols restent debout et parlent fort. Je laisse ma bulle imaginaire hors de l’avion. Nous atterrissons à 14 h à Montréal. Je passe aux douanes à 14 h 45.

Sur ma carte de déclaration, j’ai malheureusement coché OUI à la question : Est-ce que vous ou toute autre personne citée ci-dessous dépassez les indemnités en franchise de droits par personne? OUI, OUI et OUI! J’ai été hors du pays pendant 43 heures! GRRRR! Il me manque cinq heures pour avoir mon 48 h! Je vais à la fouille c’est certain!

Je dois avouer qu’il y a du positif dans toute cette histoire de fouille. Pendant tout le processus des douanes, j’ai le droit à trois chances pour m’en sortir vivante. Trois! C’est tout de même raisonnable.

PREMIÈRE CHANCE

Douanier : «Qu’est-ce que vous avez comme nourriture?»

Hôtesse de l’air : «De l’huile d’olive et un vieux sac de gruau (dans le fond de ma valise)»

Douanier : «Vous avez du tabac ou de l’alcool?».

Hôtesse de l’air : «Oui, deux bouteilles de vin à 3.50 euros». (je ne peux pas croire qu’il va me faire fouiller pour payer 6.25 $ par bouteille)

Douanier : Ok. Merci.

Sans un sourire, il m’inscrit un R11 en haut de ma carte d’immigration et inscrit deux bouteilles avec un OK à côté. Wow! Avec un R11 je suis certaine qu’il me laisse passer. Je suis confiante, mais ATTENTION, RIEN N’EST ENCORE CONFIRMÉ!

DEUXIÈME CHANCE

Je descends les marches vers la section des bagages et je m’enligne vers la porte de sortie. Je me prépare à tendre alors ma carte à un autre douanier qui est responsable de récupérer les cartes d’immigration. En regardant le code que le premier douanier a inscrit, il vous dira « Merci, au revoir » ou « veuillez passer à la fouille ». Par contre, il peut aussi décider de vous faire fouiller même si le premier douanier avait indiqué que c’était OK. Soyez donc méfiant. Rien n’est gagné!

Je vois alors sortir brusquement une douanière qui se tient tout près du douanier récupérant les cartes. Elle ressemble à une femme des services secrets russes et me questionne soudainement avec son accent du KGB.

Douanière Olga : « Vous êtes partie à quelle heure vendredi? ».

Hôtesse de l’air : « Hum … 20h ».

Douanière Olga : « Vous n’êtes pas légale alors? »

Hôtesse de l’air : « Non »

Je tends alors ma carte d’immigration inscrite d’un fier R11. Elle la regarde et baisse ainsi les yeux vers les inscriptions DEUX BOUTEILLES. Elle me dit de passer à la fouille immédiatement! Je le savais!

J’attends maintenant en file cordée. C’est un vrai plaisir surtout après s’être levé à 3 h du matin et d’avoir volé pendant 8 h. Je commence à regretter d’avoir acheté du vin.

TROISIÈME CHANCE

Je regarde les comptoirs. Il y a deux femmes et un homme. Je souhaite de tomber sur l’homme. Avec lui, j’ai une chance. Voilà que mon tour arrive. Et merde, c’est une femme! Elle me fera payer, j’en suis sûre. Sans un sourire, elle me dit de déposer ma valise sur la grande table. Je lui dit que j’ai du vin et que je vais payer les taxes, nul besoin de fouiller mes sous-vêtements. Elle fouille quand même. Ensuite, je lui montre ma facture de bouteilles de vin à 3.50 euros ainsi que les bouteilles.

Douanière à la fouille : « Vous êtes partie à quelle heure vendredi? »

Hôtesse de l’air : « 20 h, je suis légale dans cinq heures ». (Je suis entrée dans la zone internationale à 18 h15 donc il me manque quatre heures … Est-ce que ça compte ça?!) 

Douanière à la fouille: « Vous devez payer 13 $, allez payer et revenez me montrer le billet ».

Après avoir perdu « deux nuits consécutives de sommeil», m’être réveillée en plein milieu de la nuit en Europe et avoir mangé un lunch comme s’il était midi; après m’être rendormie profondément pour me faire brusquement réveiller par le réveil de l’hôtel, m’être levée sans café ni brioche et avoir dû attendre d’arriver dans l’avion pour grignoter le moindrement; après m’être dévouée corps et âme pendant des heures à des passagers exigeants, et bien, après tout ça, pouvoir rapporter deux bonnes bouteilles de vin sans payer de taxes et ainsi sauver quelques dollars est selon moi très MÉRITÉ!, surtout lorsque l’on est si près du but avec un 45, 44, ou même 42 heures hors du pays.

Et vous qu’auriez-vous fait? 
Vous avez vécu une rencontre intéressante avec les douaniers? J’aimerais entendre votre histoire:) Laissez un commentaire.
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Écrit par Elizabeth Landry

Elizabeth Landry est agente de bord et une vraie passionnée des voyages et des sports nautiques. Elle partage son temps entre Cabarete en République Dominicaine, le Québec et les airs. Elle dirige le blogue L’Hôtesse de l’air depuis 2010 et a écrit trois romans à succès du même nom. Sa boutique #FLYWITHME vous fera voyager à travers le monde !

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