Manipulation des passagers: Trucs et Astuces
Mise en situation #1
Hôtesse de l’air: «Aimeriez-vous manger du spaghetti avec du poulet parmigiana ou juste des pâtes?»
Passager: «Je choisis le spaghetti»
Mise en situation #2
Hôtesse de l’air: «Aimeriez-vous manger du poulet avec des pâtes ou des pâtes sauce rosée avec légumes?»
Passager: «Des pâtes sauce rosée avec légumes»
Et vous, que mangeriez-vous?
Avouez que vous auriez choisi le spaghetti et ensuite les pâtes sauce rosée?
Si ce n’est pas le cas, c’est qu’il manquait sûrement l’intonation de ma voix pour vous convaincre. Car prononcés stratégiquement, ces choix que vous croyez VÔTRE, ne vous appartiennent pas. Ils ne sont qu’une illusion créée de toutes pièces afin de vous diriger vers le choix que J’AURAI décidé.
Je l’avoue, je vous manipule à ma guise. De toute façon, tous les jours vous vous faites manipuler à votre insu. Les experts en marketing vous le diront, vous êtes manipulés constamment. Les médias le font, les publicités le font, et l’hôtesse de l’air à bord de votre avion le fait aussi! OUF! VOUS ÊTES FOUTU, HEIN?
Sachez pourtant ici qu’aucun mensonge n’est vraiment faux. Du spaghetti avec du poulet est bien des pâtes avec du poulet. Et des pâtes avec sauce rosée se résument de toute évidence à des pâtes.
À la différence des publicités qui maquillent la vérité pour devenir riche, moi, je le fais pour votre bien… et le mien en contrepartie. Je ne voudrais surtout pas que vous soyez déçu, choqué, voire frustré de ne pas avoir eu le plaisir de manger le repas que vous désiriez lors de votre précieux voyage. Autant que je ne voudrais pas que cette déception créée par l’absence de votre choix de repas se transforme en une haine irréversible à mon égard, à l’égard de mes collègues ou à l’égard de la compagnie aérienne pour laquelle je travaille.
Bref, je m’efforce courtoisement d’influencer votre décision de façon calculée tout au long de mon service, car je sais pertinemment qu’il n’y a pas suffisamment de pâtes, de poulet, ou de boeuf pour tout le monde.
Résumé: si vous choisissez la même chose, je suis foutue!
Je devrai m’excuser à la moitié des passagers à bord et me sentir impuissante, sentiment que je déteste par-dessus tout. Je préfère alors manipuler votre perception des choix offerts afin que vous soyez heureux, sereins, en famille, main dans la main.
Un petit instant! Ne vous en offusquez pas. Je ne fais qu’appliquer les principes fondamentaux de la manipulation à bord. Ces astuces d’hôtesses de l’air, transmises de génération en génération, m’ont été soufflées à l’oreille dès mes premières heures de vol.
Ce sont des secrets professionnels bien gardés…mais laissez-moi vous en dévoiler quelques-uns 🙂
INITIATION À LA MANIPULATION DES PASSAGERS
Principe #1: La poésie des mots tel un Français
Les Français ont cette tendance à utiliser toutes sortes de mots élégants pour décrire des choses simples. Ils ont leur propre appellation contrôlée des mots. Ils mangent des «gourmandises», boivent des «ballons de rouge» et arment les toboggans à bord des avions en disant «Personnel de cabine, armement des toboggans!».
Au Québec, nous sommes un peu plus rustiques, plus directs, moins romantiques dans notre franc-parler. Nous mangeons des pâtisseries garnies de chocolat, buvons des verres de vin rouge et armons les portes des avions en disant: «Personnel de cabine, armement des portes!».
Par contre, si vous voulez influencer la décision des passagers, qu’ils soient Québécois, Anglais ou Inuits, il faut faire vibrer les mots à la manière d’un Français. Tel un poète, vous devrez décrire élégamment le repas que vous avez en plus grande quantité.
Évitez bien entendu le chichi pour le second choix.
Ainsi, si vous servez à bord du boeuf bourguignon, privilégiez le «bourguignon» lorsque vous voulez qu’il soit choisi.
Et lorsque vous êtes à sec, dites plutôt un «boeuf avec des patates».
Le passager pensera alors: «Boeuf avec des patates, bouh!». Il choisira ensuite l’autre plat plus attrayant et moins décevant. Succès garanti, c’est promis!
Principe #2: Abuser des indécis et des endormis
Pour arriver à offrir deux choix de repas à vos passagers et de rendre ainsi tout le monde heureux, il vous faudra être astucieux. Lorsqu’une porte s’ouvre, on l’emprunte non? Ne vous sentez donc pas mal à l’aise d’abuser de quelques passagers indécis ou endormis. S’ils ne savent pas quoi manger, choisissez pour eux! Vous épargnerez du temps, mais surtout vous vous assurerez de rallier les rangées suivantes de votre côté. Ne voudriez-vous pas que le bataillon rejoigne votre camp si la guerre éclatait? Évidemment! Dans ce cas-là, écoutez ceci.
Les indécis sont tous ceux qui vous regardent avec un air étonné lorsque vous leur proposez les choix offerts. Ils sont tous ceux qui vous font répéter les choix. Ils sont tous ceux qui vous demandent: «Les pâtes sont servies avec quoi?» ou «Le poulet est servi avec quelle sauce?» ou «Quelle est la cuisson du boeuf?». S’en suit d’un «Hummmmm», interminable. C’est après ce «Hummmm» que vous devez sauter sur l’occasion. La porte s’ouvre…c’est maintenant ou jamais! Empruntez-la!
Pour les endormis, vous avez le champ libre. À moins, bien sûr, que le copain ou la copine de l’endormi ne se mêle pas de ses affaires! Là, vous n’aurez d’autres choix que d’acquiescer à sa demande et de déposer sur la tablette, le choix de repas qu’il ou qu’elle aura décidé. GRRRRRR!
Principe # 3: Ne pas se faire prendre la main dans le sac
Pour triompher lors de cette épreuve, vous devrez minimiser les occasions d’être démasqué. Le truc: rester crédible. Par conséquent, je vous suggère de rester constant dans vos propositions de choix de repas pour chaque groupe de passagers.
Par exemple, vous ne pouvez pas proposer à Monsieur 12 A de choisir entre un bon boeuf bourguignon et des pâtes et ensuite proposer à Monsieur 12 C un platonique boeuf avec des patates. Les risques sont beaucoup trop élevés pour que l’on vous démasque.
Comme Monsieur 12 C est assis tout près de Monsieur 12 A, il a sans doute entendu votre première proposition faite à ce dernier. Conséquemment, Monsieur 12 C vous dira: «Mais vous ne serviez pas du boeuf bourguignon?» Et vous de rétorquer pour sauver la face: «Et bien, hummm, du boeuf avec des patates c’est la même chose que du bourguignon Monsieur…hummm.»
Vous voulez garder votre dignité? Le changement d’appellation devra donc se faire à l’insu de tous. Il suffit de créer une distance sonore entre les passagers à qui vous vanterez le boeuf bourguignon et ceux à qui vous direz boeuf avec des patates. Je vous suggère donc de profiter de toutes les occasions qui s’offriront à vous pour appliquer le GRAND CHANGEMENT: passagers endormis, rangées libres, sorties d’urgences. Je vous le dis, ils n’y verront que du feu!
Un peu de manipulation, ça ne fait pas de mal à personne!
Écrit par Elizabeth LandryElizabeth Landry est agente de bord et une vraie passionnée des voyages et des sports nautiques. Elle partage son temps entre Cabarete en République Dominicaine, le Québec et les airs. Elle dirige le blogue L’Hôtesse de l’air depuis 2010 et a écrit trois romans à succès du même nom. Sa boutique vous fera voyager à travers le monde !
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